Le temps haletant

Fini Le temps des cerises, voici revenu le temps des comptes-rendus, des examens et des bilans. Un temps moite et haletant (1), qui ne nous laisse pas le temps, nous éparpille et file comme un mauvais coton.

Hélas, comme je suis lasse de photocopier les pièces de dépenses justifiables, les extraits de comptes de banques irresponsables, d’aligner les résultats probants de projets souhaitables et utiles à la société. Lasse de la paperasse, de devoir retrouver le justificatif de l’achat de l’agrafeuse, d’accrocher ledit ticket avec l’agrafeuse et surtout, de chercher où sont rangées ces maudites agrafes ! 

Le rituel annuel du rempotage des formulaires administratifs est l’épisode fastidieux des besognes répétitives et tatillonnes. L’accomplissement suprême de l’initié par la voie à double sens ;  d’un côté, remplissage des colonnes et fuite du temps de cerveau humain disponible de l’autre (2) .

Pour atteindre les objectifs préétablis, dans le contexte de rigueur budgétaire, se conformer aux instructions : préciser dans quels volumes et selon quelles procédures produire les biens et services, entretenir en toute saison un rhizome professionnel performant, à tout bout de champ bêcher, sarcler l’espoir, sans trop ratisser du noir, fertiliser opportunément avec l’engrais conjoncturel. 

Pour cause d’amoncellement de tracasseries bureaucratiques, la culture se transforme en consortium et l’artiste en gestionnaire de comptoir. Depuis peu, mon organisme, purgé de sa substance chimérique, semble génétiquement modifié par l’outillage administratif. Je me suis donc appliquée à déformer des boutures de spectacle, qui devraient rentrer dans ce réceptacle, même si ce n’est pas vraiment le bon bocal, ce que vous faites est un peu transversal. 

En fait, juste un peu trop, réencodez vos données numériques après les élections, en attendant, ne restez donc pas plantée là, allez voir dans le bureau d’à côté si l’herbe n’est pas plus verte !

Quelles brindilles de bon temps vont persister, après un tiers-temps passé à remplir les formulaires, un tiers-temps pédagogique pour transmettre les savoir-faire, un tiers-temps à la gestion de la structure qui sert à établir les contrats et encore un petit dernier tiers, pour la route ?

Quand reviendra-t-il, le temps qui a le temps, le temps de se ressaisir, le joli temps des mots en « R »…

Réveil. Renaissance. Résistance. Recréation.

J’espère que vous n’aurez pas été aussi affecté que moi par cette épidémie de train-train (3) du mois de juin …

C.V.

1. Le temps haletant, poésie de Jacques Prévert.

2. : »Pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible (…) ». Patrick Le Lay, PDG de TF1.

3. Train-train, anagramme de « ni art ni art », d’après Pol Piérart. 

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